Le projet “Trabajo Digno” – Appui à un travail digne

par Martine Greischer, initiatrice et directrice du projet

En Bolivie, les lois du travail existent et sont bien faites, mais la majorité de la population ne les connaît pas. Pour cette raison, les employeurs proposent souvent de mauvaises conditions de travail et les demandeurs, fréquemment des personnes en désavantage social et à formation scolaire faible, les acceptent. De cette manière, l‘exploitation persiste et les travailleurs restent bloqués dans une situation de pauvreté.

Pour répondre à ce problème, le projet „Trabajo digno – Travail digne“ s’est donné comme objectif de soutenir les personnes en désavantage social à ce qu’ils disposent des outils nécessaires pour obtenir un travail digne dans le respect de leurs droits et des lois existantes. Il fonctionne depuis septembre 2011 à Cochabamba/Bolivie; jusqu’à pré-sent, plus de 1000 bénéficiaires directs ont profité des services du projet.

Maria, notre assistante sociale, aide trois femmes dans la recherche d’un emploi.

Maria, notre assistante sociale, aide trois femmes dans la recherche d’un emploi.

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Los „Bloqueos“ bolivianos

Une spécialité bolivienne: La culture du syndicalisme et de la démocratie de base est très vivante en Bolivie et se traduit par des manifestations plutôt spontanées, parfois bien orchestrées dans un quartier de ville, dans une localité, une région et même le pays entier. Une des techniques les plus efficaces dans cette lutte populaire sont les barrages routiers. Installés à des endroits stratégiques du réseau routier ils sont capables de bloquer toute circulation aussi bien de marchandises que de passagers. En l’absence de réseau ferroviaire le camion et le bus sont les seuls moyens de transport (la majorité des Boliviens étant trop pauvres pour acheter une voiture). Les barrages de route suscitent ainsi le mécontentement et la colère de la population et augmentent la pression sur les dirigeants politiques.

Mais la nature aussi, si belle et exubérante en Bolivie, est capable de bloquer toute circulation terrestre. Surtout dans les régions moins développés, pauvres en infrastructures, comme le village de Chocaya, où travaille notre volontaire Anne Speltz actuellement. Elle nous reporte ses expériences dans le petit récit ci-dessous:

Le weekend de Carnaval s’annonçait avec quatre jours de congé et ainsi on avait planifié une excursion un peu plus longue, jusqu’à Tarija, pour profiter de ces « petites vacances ».

Malheureusement, pendant toute la semaine, des rumeurs circulaient que dans le pays entier étaient organisés des barrages routiers, empêchant de nombreux Boliviens de voyager. Ainsi j’ai vu que la famille, qui était venue de Potosi pour une visite chez des gens habitant à côté de l’école, a dû rester à Chocaya pendant toute la semaine comme il n’y avait pas de moyen pour eux de rentrer. De même les volontaires du Chili qui ont voulu nous ren-dre visite étaient bloquées à La Paz et ont finalement décidé de prendre l’avion pour pouvoir nous rejoindre.

Tout de même, moi je suis restée optimiste, et je me suis réjouie pour ce weekend…

Le vendredi aucun changement de la situation n’était en vue et j’ai commencé à réellement comprendre la gravité de la situation. Jamais auparavant, je n’ai vécu une situation dans laquelle le transport public a été contrecarré de telle manière. Notre premier plan de voyager à Tarija a donc vite été annulé. Mais comme c’était le weekend de Carnaval, ce qui est une fête assez importante en Bolivie, surtout à Oruro, j’ai envisagé l’alternative de visiter cette fête haute en couleurs. Je ne pouvais pas m‘imaginer que ces barrages seraient capables d’empêcher la célébration de Carnaval. De plus, le Carnaval d’Oruro est assez connu, et chaque année, des milliers de Boliviens s’y rendent. En plus cette fête est une source importante de revenus et je me suis dit que ce ne serait pas possible que ces bloqueos pourraient empêcher l’accès à la fête.

Le samedi, on s’est donc rendu au terminal du bus et on a dû constater qu’il n’y avait toujours pas de transport public. Lorsqu’on est réellement concerné, c’est un sentiment étrange de réaliser qu’on ne peut pas circuler librement. On se sent en quelque sorte emprisonné dans la ville. Persuadées qu’il devait quand même être possible de rejoindre Oruro, on a commencé à nous renseigner sur les alternatives.

Il y avait des taxis proposant le trajet Cochabamba-Oruro mais pour 250 Bolivianos (plus de 30 Euros) au lieu des 30 Bolivianos (4 Euros) qu’on aurait payé pour le bus. On a donc vite éliminé cette possibilité.

D’autres Boliviens nous renseignaient qu’on pouvait avancer jusqu’au bloqueo, le traverser à pied et continuer le voyage avec un autre bus. Comme on n’avait rien à perdre, on a décidé de tenter notre chance.

Peu à peu pourtant ma tension nerveuse augmentait, surtout à cause des nombreuses camionnettes chargées de policiers armés qui passaient. Apparemment ils possédaient aussi du gaz lacrymogène. De plus, je connais des images boliviennes qui montrent des combats entre policiers et civils. Ce sont des batailles sauvages et assez graves.

Avec un „trufi“, un taxi collectif, on a donc rejoint l’endroit où la route était bloquée. Tout semblait tranquille, on ne voyait que les camions qui empêchaient le passage, mais pas de combats, rien,… Il faut savoir que c’étaient les chauffeurs de camion qui avaient organisé les barrages parce qu’ils voulaient une baisse d’impôts. Sur les abords de la route, des femmes vendaient de la viande, des petits pains,…Tout était comme toujours. On a passé la file des camions sans problème et déjà je me sentais soulagée. Et comme prévenu, à la fin du bloqueo, il y avait des bus proposant le passage à Oruro. Mais des passants nous ont fait remarquer que le véritable bloqueo se trouvait plus loin.

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On ne pouvait pas le voir de l’endroit où on était, et les camions qui bloquaient le passage n’étaient que des camions qui ne pouvaient pas poursuivre leur route. De nouveau, j’ai commencé à sentir la gravité de la situation. Personne alors n’avait envie de traverser le bloqueo à pied, cela nous semblait vraiment trop risqué. Déses­pérées, on voulait rentrer, lorsqu’on nous disait que les grévistes allaient terminer le blocage de la route. Vite, on est monté dans un bus, mais celui-ci n’a pas avancé. Les gens ont discuté avec un policier, et lorsque je me suis renseignée sur le départ, le chauffeur m’a répondu avec un sourire: dans 10 minutes, peut-être 20 ou dans 3 ­heures. Après cette information, on a décidé définitivement de retourner à la maison.

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Même si on a raté la fête du Carnaval à Oruro, je suis certaine que cette expérience a valu la peine. Jamais auparavant, je n’ai pu vivre un tel sentiment d’enfermement. Dans notre cas, on avait encore de la chance, comme on n’avait pas de rendez-vous ou de ticket réservé quelque part, donc rien ne s’est passé, mais on voit quelle chance on a en Europe. A tout moment, on peut rejoindre tout endroit et s’il y a une grève de train, il y a toujours d’autres moyens pour rejoindre la destination. Mais ici, quand il y a un bloqueo, rien ne va plus. Pas moyen d’entrer ni de sortir de la cité, le droit de circuler librement est en quelque sorte restreint.

Les quatre jours de vacances terminés, j’ai de nouveau commencé à travailler. Le paysage que je traverse chaque fois en me rendant au travail est vraiment merveilleux, et en plus ce jour-là, j’étais vraiment excitée de voir les changements dont tout le monde m’avait parlé en long et en large, car la saison de pluie avait juste commencé. Le village de Bella Vista où j’habite et celui de Chocaya où je travaille sont séparés par une rivière, pas très large vraiment, plutôt un ruisseau, mais par temps de pluie celui-ci est tellement large et puis­sant, qu’on ne peut pas le traverser à pied. Alors il faut emprun­­ter le pont de fortune formé par deux troncs d’arbres et quelques planches.

dsc_0172-2Au début, ceci m’effrayait un peu, car le pont est vraiment étroit et se situe à 10 mètres au-dessus de l’eau. Mais très vite, ce passage journalier s’est transformé pour moi en petite aventure…

Quelques jours après, ma „tia“, la femme avec laquelle je travaille, m’a raconté qu‘on ne pouvait plus utiliser ce passage. Pendant la nuit, les deux troncs ont été emportés par la crue. Il existe un pont qu’on peut même traverser en voiture, mais beaucoup plus bas au village. Les gens ne peuvent donc pas circuler entre les deux villages comme ils ont l’habitude. Ceci leur rend la vie encore plus dure, aussi aux enfants qui doivent aller à l’école.

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Le problème du pont emporté par les flots s’est vite résolu, les villageois l’ont remplacé par deux autres troncs. Mais cette situation m’a vraiment impres­sionnée. Ici, la nature peut simplement changer la vie quotidienne des gens d’un jour à l’autre. On ne sait pas si on peut rejoindre son travail, vendre ses produits au marché… Chez nous en Europe tout est bétonné, la nature est apprivoisée et une telle situation arrive rarement. Mais d’un autre côté notre vie est toujours la même, sans changements importants et en même temps un peu … ennuyeuse.

Pour moi, la saison des pluies a fait en sorte que je ne peux plus aller tous les jours à Chocaya, le passage étant trop dangereux quand il pleut. Je travaille alors dans l’autre établissement. Et il y a aussi moins d’enfants qui viennent à l’école.

texte et photos: Anne Speltz

Notre nouveau projet avec ANAWIN

Amélioration de la souveraineté alimentaire
dans les communautés de Chapisirca, 2ème phase (2015 – 2018)

Depuis que Niños de la Tierra asbl. a débuté son travail de coopération en Bolivie (2001), un site principal de nos interventions est la région autour de Cochabamba et un axe stratégique l’agriculture durable et la sécurité alimentaire.

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sur le haut plateau andin

Dans la région des hauts plateaux de Chapisirca (à plus de 3900 mètres d’altitude), nous avions débuté très tôt avec un projet de santé, puis pédagogique (tous 2 avec la Fundacion Cristo Vive Bolivia), pour nous orienter par la suite vers les besoins ressentis comme les plus nécessaires par les campesinos (le tout résultant d’un important travail de diagnostic de toute la communauté en 2009, par notre ONG partenaire ANAWIN): «L’amélioration de la situation alimentaire par une adaptation des processus de production, d’élevage et des techniques de travail du sol» , ainsi qu’ un «processus d’apprentissage socio-agro-écologique et sanitaire à tous les niveaux des communautés ».

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En effet, si la politique nationale de la Bolivie d’Evo Morales promeut bien un modèle de souveraineté alimentaire, qui implique que le peuple a le droit de décider librement que produire et comment au sein d‘une agriculture familiale, communautaire et organique. En pratique, ce discours n’est pas toujours appliqué. On remarque en effet une absence de programmes pour faire face aux demandes et nécessités des populations rurales vulnérables.

Le premier projet:

Notre premier projet agroalimentaire avec ANAWIN, entre 2011 et 2014, a justement respecté cette démarche. Ce projet, tout à fait dans l’axe stratégique du gouvernement bolivien, a montré en général de très bons résultats, à la fois dans le domaine de l’agro-élevage que dans celui de l’éducation et de la santé/nutrition.

Plus de 200 familles ont diversifié et augmenté leur production, introduit des techniques de conservation des sols, de micro-irrigation, d’emploi d’engrais biologiques, cultivation de parcelles, vergers et potagers familiaux. Dans 7 écoles ont été introduits comme thèmes transversaux, l’environnement et la nutrition saine, le traitement des déchets, le recyclage, l’hygiène etc. Globalement ce 1er projet a permis à 225 familles de 11 communautés d‘améliorer leur état nutritionnel et sanitaire tout en produisant des aliments sains avec même la possibilité de vendre les excédents sur les marchés locaux.

Cependant, tous ces processus engendrés ont besoin de continuité pour garantir leur durabilité. Malgré les avances de la 1ère phase, les populations cibles restent vulnérables et assez marginalisées et leurs terres sont confrontées aux nombreux risques climatiques (sécheresse, désertification, érosion, grêle ou gel).

La première phase a également montré qu’il est essentiel de travailler avec les communautés qui sont vraiment désireuses d’apprendre, qui sont motivées et ont déjà investi pas mal dans le changement de leurs habitudes. Anawin a ainsi choisi de travailler pour cette 2ème phase avec les communautés les plus actives durant la 1ère phase, de même qu‘avec celles montrant une certaine auto-initiative.

potager avec micro-irrigation

potager avec micro-irrigation

élevage de truites

élevage de truites

Quant aux écoles (professeurs et élèves) avec lesquelles on va travailler, on a retenu les 6 établissements les plus engagés de la Centrale régionale de Chapisirca, en y ajoutant 5 établissements nouveaux du «nucleo escolar» voisin de Montecillo Alto. Ceci résulte d’un côté de l’intérêt intense porté au 1er projet par les habitants de Montecillo, qui ont réitéré à plusieurs reprises leur demande de pouvoir participer au versant socio-éducatif du projet. D’un autre côté, le responsable municipal de l’éducation de toute la commune de Tiquipaya (60.000 habitants), dont font partie les communautés du projet, a formulé clairement le désir de sa municipalité de voir ces écoles incluses dans le projet. Il nous avait sollicité personnellement à ce sujet lors de notre visite d’évaluation en novembre 2014.

Le nouveau projet:

Cette deuxième phase du projet «souveraineté alimentaire» a ainsi débuté en juillet 2015, avec l’accord de cofinancement par le Ministère de la Coopération luxembourgeois (MAE).

serre réalisée avec les moyens sur place

serre réalisée avec les moyens sur place

Le projet propose des interventions à deux niveaux :

– un volet d’agro-élevage, dont les points essentiels sont: l’incorporation de techniques de conservation du sol, l’amélioration de la teneur en matière organique du sol, l’augmentation de la surface cultivée avec un système de micro-irrigation, la production de légumes pour l’autoconsommation et la commercialisation, l’élevage de truites avec production d’alevins de truites, l’implémentation de parcelles fourragères et

cours d'écologie et d'hygiène à l'école

cours d’écologie et d’hygiène à l’école

de vergers, l’amélioration des connaissances en santé des animaux….

– un volet socio-éducatif, avec comme actions: la production de légumes biologiques dans les établissements scolaires (jardins scolaires), l’amélioration de la conscience écologique, l’élaboration de pratiques adéquates de préparation, consommation et conservation de légumes à l’école, l’amélioration de la santé et de l’hygiène communautaire, un appui sérieux à la formation des professeurs….

Les bénéficiaires directs de ce programme sont au moins 225 familles de la région, 34 professeurs et 350 élèves de 11 établissements scolaires. Indirectement, plus de 3500 habitants vont profiter des améliorations à moyen terme.

Nous espérons qu’à la fin de cette deuxième phase du projet (et après 6 années d’accompagnement), les bénéficiaires pourront continuer avec les acquis et les activités principales sans intervention externe, en s’appuyant sur le travail intensif qu’ANAWIN aura réalisé. Ils devront aussi garder ou élargir les alliances stratégiques avec les instances publiques (municipales), conduisant en principe à l’appui de ces derniers dans le cadre des politiques de souveraineté alimentaire de l’Etat Bolivien (Plan Nacional de Desarrollo: Bolivia digna,soberana, productiva y democratica para vivir bien). Le projet aura ainsi également fourni un appui au développement d’une démocratie participative à partir de la base.

Le budget global du projet pour les 3 années est de 330.115 €, dont Niños de la Tierra asbl. doit garantir un tiers (cofinancement par le MAE de 2/3).

Jean-Paul Hammerel

(photos: Julie Kipgen)