Los „Bloqueos“ bolivianos

Une spécialité bolivienne: La culture du syndicalisme et de la démocratie de base est très vivante en Bolivie et se traduit par des manifestations plutôt spontanées, parfois bien orchestrées dans un quartier de ville, dans une localité, une région et même le pays entier. Une des techniques les plus efficaces dans cette lutte populaire sont les barrages routiers. Installés à des endroits stratégiques du réseau routier ils sont capables de bloquer toute circulation aussi bien de marchandises que de passagers. En l’absence de réseau ferroviaire le camion et le bus sont les seuls moyens de transport (la majorité des Boliviens étant trop pauvres pour acheter une voiture). Les barrages de route suscitent ainsi le mécontentement et la colère de la population et augmentent la pression sur les dirigeants politiques.

Mais la nature aussi, si belle et exubérante en Bolivie, est capable de bloquer toute circulation terrestre. Surtout dans les régions moins développés, pauvres en infrastructures, comme le village de Chocaya, où travaille notre volontaire Anne Speltz actuellement. Elle nous reporte ses expériences dans le petit récit ci-dessous:

Le weekend de Carnaval s’annonçait avec quatre jours de congé et ainsi on avait planifié une excursion un peu plus longue, jusqu’à Tarija, pour profiter de ces « petites vacances ».

Malheureusement, pendant toute la semaine, des rumeurs circulaient que dans le pays entier étaient organisés des barrages routiers, empêchant de nombreux Boliviens de voyager. Ainsi j’ai vu que la famille, qui était venue de Potosi pour une visite chez des gens habitant à côté de l’école, a dû rester à Chocaya pendant toute la semaine comme il n’y avait pas de moyen pour eux de rentrer. De même les volontaires du Chili qui ont voulu nous ren-dre visite étaient bloquées à La Paz et ont finalement décidé de prendre l’avion pour pouvoir nous rejoindre.

Tout de même, moi je suis restée optimiste, et je me suis réjouie pour ce weekend…

Le vendredi aucun changement de la situation n’était en vue et j’ai commencé à réellement comprendre la gravité de la situation. Jamais auparavant, je n’ai vécu une situation dans laquelle le transport public a été contrecarré de telle manière. Notre premier plan de voyager à Tarija a donc vite été annulé. Mais comme c’était le weekend de Carnaval, ce qui est une fête assez importante en Bolivie, surtout à Oruro, j’ai envisagé l’alternative de visiter cette fête haute en couleurs. Je ne pouvais pas m‘imaginer que ces barrages seraient capables d’empêcher la célébration de Carnaval. De plus, le Carnaval d’Oruro est assez connu, et chaque année, des milliers de Boliviens s’y rendent. En plus cette fête est une source importante de revenus et je me suis dit que ce ne serait pas possible que ces bloqueos pourraient empêcher l’accès à la fête.

Le samedi, on s’est donc rendu au terminal du bus et on a dû constater qu’il n’y avait toujours pas de transport public. Lorsqu’on est réellement concerné, c’est un sentiment étrange de réaliser qu’on ne peut pas circuler librement. On se sent en quelque sorte emprisonné dans la ville. Persuadées qu’il devait quand même être possible de rejoindre Oruro, on a commencé à nous renseigner sur les alternatives.

Il y avait des taxis proposant le trajet Cochabamba-Oruro mais pour 250 Bolivianos (plus de 30 Euros) au lieu des 30 Bolivianos (4 Euros) qu’on aurait payé pour le bus. On a donc vite éliminé cette possibilité.

D’autres Boliviens nous renseignaient qu’on pouvait avancer jusqu’au bloqueo, le traverser à pied et continuer le voyage avec un autre bus. Comme on n’avait rien à perdre, on a décidé de tenter notre chance.

Peu à peu pourtant ma tension nerveuse augmentait, surtout à cause des nombreuses camionnettes chargées de policiers armés qui passaient. Apparemment ils possédaient aussi du gaz lacrymogène. De plus, je connais des images boliviennes qui montrent des combats entre policiers et civils. Ce sont des batailles sauvages et assez graves.

Avec un „trufi“, un taxi collectif, on a donc rejoint l’endroit où la route était bloquée. Tout semblait tranquille, on ne voyait que les camions qui empêchaient le passage, mais pas de combats, rien,… Il faut savoir que c’étaient les chauffeurs de camion qui avaient organisé les barrages parce qu’ils voulaient une baisse d’impôts. Sur les abords de la route, des femmes vendaient de la viande, des petits pains,…Tout était comme toujours. On a passé la file des camions sans problème et déjà je me sentais soulagée. Et comme prévenu, à la fin du bloqueo, il y avait des bus proposant le passage à Oruro. Mais des passants nous ont fait remarquer que le véritable bloqueo se trouvait plus loin.

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On ne pouvait pas le voir de l’endroit où on était, et les camions qui bloquaient le passage n’étaient que des camions qui ne pouvaient pas poursuivre leur route. De nouveau, j’ai commencé à sentir la gravité de la situation. Personne alors n’avait envie de traverser le bloqueo à pied, cela nous semblait vraiment trop risqué. Déses­pérées, on voulait rentrer, lorsqu’on nous disait que les grévistes allaient terminer le blocage de la route. Vite, on est monté dans un bus, mais celui-ci n’a pas avancé. Les gens ont discuté avec un policier, et lorsque je me suis renseignée sur le départ, le chauffeur m’a répondu avec un sourire: dans 10 minutes, peut-être 20 ou dans 3 ­heures. Après cette information, on a décidé définitivement de retourner à la maison.

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Même si on a raté la fête du Carnaval à Oruro, je suis certaine que cette expérience a valu la peine. Jamais auparavant, je n’ai pu vivre un tel sentiment d’enfermement. Dans notre cas, on avait encore de la chance, comme on n’avait pas de rendez-vous ou de ticket réservé quelque part, donc rien ne s’est passé, mais on voit quelle chance on a en Europe. A tout moment, on peut rejoindre tout endroit et s’il y a une grève de train, il y a toujours d’autres moyens pour rejoindre la destination. Mais ici, quand il y a un bloqueo, rien ne va plus. Pas moyen d’entrer ni de sortir de la cité, le droit de circuler librement est en quelque sorte restreint.

Les quatre jours de vacances terminés, j’ai de nouveau commencé à travailler. Le paysage que je traverse chaque fois en me rendant au travail est vraiment merveilleux, et en plus ce jour-là, j’étais vraiment excitée de voir les changements dont tout le monde m’avait parlé en long et en large, car la saison de pluie avait juste commencé. Le village de Bella Vista où j’habite et celui de Chocaya où je travaille sont séparés par une rivière, pas très large vraiment, plutôt un ruisseau, mais par temps de pluie celui-ci est tellement large et puis­sant, qu’on ne peut pas le traverser à pied. Alors il faut emprun­­ter le pont de fortune formé par deux troncs d’arbres et quelques planches.

dsc_0172-2Au début, ceci m’effrayait un peu, car le pont est vraiment étroit et se situe à 10 mètres au-dessus de l’eau. Mais très vite, ce passage journalier s’est transformé pour moi en petite aventure…

Quelques jours après, ma „tia“, la femme avec laquelle je travaille, m’a raconté qu‘on ne pouvait plus utiliser ce passage. Pendant la nuit, les deux troncs ont été emportés par la crue. Il existe un pont qu’on peut même traverser en voiture, mais beaucoup plus bas au village. Les gens ne peuvent donc pas circuler entre les deux villages comme ils ont l’habitude. Ceci leur rend la vie encore plus dure, aussi aux enfants qui doivent aller à l’école.

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Le problème du pont emporté par les flots s’est vite résolu, les villageois l’ont remplacé par deux autres troncs. Mais cette situation m’a vraiment impres­sionnée. Ici, la nature peut simplement changer la vie quotidienne des gens d’un jour à l’autre. On ne sait pas si on peut rejoindre son travail, vendre ses produits au marché… Chez nous en Europe tout est bétonné, la nature est apprivoisée et une telle situation arrive rarement. Mais d’un autre côté notre vie est toujours la même, sans changements importants et en même temps un peu … ennuyeuse.

Pour moi, la saison des pluies a fait en sorte que je ne peux plus aller tous les jours à Chocaya, le passage étant trop dangereux quand il pleut. Je travaille alors dans l’autre établissement. Et il y a aussi moins d’enfants qui viennent à l’école.

texte et photos: Anne Speltz