UNE ANNEE SANS DEBUT ET SANS FIN

Rapport final de notre volontaire à Tirani/Cochabamba/Bolivie 2015-2016 Anne Speltz

Mon année en Bolivie n‘est pas une certaine période déterminée qui débutait le 12 août 2015 en Bolivie. Elle débutait bien avant, probablement le jour où je commençais à me poser des questions au sujet d‘une année sabbatique, et est devenue plus concrète par le message de l‘organisation Ninos de la Tierra, qu‘ils voulaient m‘envoyer en Bolivie.

Comme je suis une personne qui se fait beaucoup de soucis, je me suis posé un tas de questions. Mon souci principal était la colocation. J‘avais peur qu‘en vivant avec plusieurs personnes les disputes seraient normales et qu‘on ne pourrait pas s‘entendre avec tout le monde. J‘avais bien des idées sur le pays, mais elles n‘étaient pas très concrètes et en plus, je voulais me laisser surprendre.

Quand je suis arrivée en Bolivie, tout était différent de mes attentes: le pays ne ressemblait pas du tout aux quelques images que j‘avais en tête, bien que maintenant, je ne m‘en souviens même plus. A première vue, je croyais que c‘était moins pauvre et moins chaotique. Et en plus, mes colocataires se montraient très sympathiques. Comme au moment de mon arrivée c‘était la fête de la Urkupina, j‘étais absorbée par une vague de couleurs, d‘odeurs, de saveurs, de musiques,… Une de mes premières impressions de Bolivie était cette fête incroyable et cette euphorie qui laissaient disparaître mes premiers soucis.

Tout doucement, la vie quotidienne commençait et d‘autres soucis et difficultés se développaient.

La langue était pour moi au début un grand obstacle que je réussissais désormais à franchir, grâce à des cours de langues.

Après un certain temps débutait aussi le travail, qui se présentait comme une difficulté plus grande et plus inattendue pour moi. Premièrement, c‘était difficile pour moi de supporter toute cette pauvreté à l‘école et au village où je travaillais. J‘étais en contact direct avec cette pauvreté grâce à mes élèves. Non seulement au travail, mais aussi dans la ville où je vivais, la pauvreté était omniprésente. Chaque jour, nous étions confrontés à des mendiants de tout âge. Mais les images qui restaient le plus longtemps dans les têtes étaient les enfants, mendiants ou dansants pour gagner des sous. Probablement cela nous touchait plus puisqu‘on travaillait avec des enfants. Mais en vivant chaque jour avec cette pauvreté, j‘ai aussi appris par les  enfants mêmes, qu‘ils étaient contents et qu‘ils se réjouissaient des choses les plus simples. Je parie que beaucoup de Boliviens possédant moins que la plupart de nous, sont beaucoup plus heureux que des européens aisés.

Au travail, je ne comprenais pas vraiment ma fonction, mais ceci a pu se régler grâce à des entretiens avec l‘institutrice avec laquelle je travaillais.

Un autre obstacle qui me posais souvent des problèmes était ma santé. A la maison, on m‘avait averti qu‘il fallait faire attention à l‘alimentation. Même sur place, on nous expliquait toutes les mesures de précautions à adopter. Mais même en respectant toutes ces précautions, je tombais régulièrement malade. C‘étaient surtout les problèmes d‘estomac qui m‘embêtaient régulièrement jusqu‘à la fin de mon séjour. Mais un jour, je suis tombée vraiment malade. D‘abord j‘avais seulement de la fièvre et je croyais que ça allait passer vite, comme il n‘y avait pas de problèmes d‘estomac. Mais cette fois-ci, la fièvre ne partait pas, et pendant 2 semaines, chaque jour, j‘avais 40 degrés de fièvre. Je faisais un tas d‘analyses, mais personne ne trouvait rien d‘anormal. Après un certain temps, le médecin me donnait simplement plusieurs antibiotiques et cela passait. Pendant ce temps, j‘ai vraiment appris l‘importance d‘une bonne santé. Toute la qualité de vie en dépend.

Rétrospectivement, je pense que tous ces obstacles étaient une épreuve. Les premiers mois étaient pour moi une période pour faire connaissance avec le pays et sa culture, avec mon travail. L‘année 2015 se terminait par des vacances qui marquaient une coupure entre le début de mon séjour (en tant que premier contact avec le pays et mon travail) et la vie quotidienne.

En janvier je rentrais des vacances, pleine d‘énergie, de nouvelles expériences et de motivation. Je venais de faire une partie du voyage toute seule ce qui était pour moi une expérience très importante et fortifiante. Je commençais le travail avec beaucoup d‘envie et avec la nouvelle année commençait aussi une nouvelle année scolaire et qui allait m‘offrir de nouvelles possibilités. Pour les nouveaux élèves je n‘étais plus un visiteur, entrant en pleine année, mais pour eux, je faisais partie du cours. La vie commençait pour moi, le travail devenait une routine et la langue commençait à devenir plus fluide.

Mes parents me rendaient visite pour Pâques. D‘un côté, je me sentais comme s‘ils venaient voir ma nouvelle vie, mais de l‘autre, je me sentais plutôt en vacances. Leur présence donnait un autre sens à mon séjour bolivien, ils m‘avaient apporté une partie de ma vie familiale du Luxembourg.

Malgré cette routine qui entrait lentement dans ma vie, la culture bolivienne me surprenait toujours. La culture, les traditions, les danses resteront pour moi toujours quelque chose d‘exceptionnel. Chaque fois que je pouvais vivre une fête, j‘étais subjuguée par cette énergie, les couleurs, les danses,…

Lentement la fin de mon séjour approchait, mais je trouve que plus le temps passait, plus beaux devenaient les moments, plus profondes les amitiés, le contact avec les personnes. J‘ai eu la possibilité de réaliser, grâce au soutien financier d‘amis luxembourgeois, un projet avec les enfants plus âgés de l‘école. En cours on parlait de la protection de l‘environnement, un sujet qui n‘est pas du tout développé en Bolivie. Suite à cette présentation, on réalisait une peinture murale, pendant l‘appui scolaire, sur le sujet de la nature idéale. Bien qu‘au début, le projet était un véritable chaos, je crois que j‘ai passé les moments les plus beaux avec les enfants pendant ce travail.  On devenait encore plus proche, et c‘était tellement bien de voir avec quelle énergie et quelle motivation ils travaillaient pour arriver à un résultat satisfaisant.

Vers la fin, j‘ai eu la possibilité de vivre encore plus de moments forts dans la communauté bolivienne. Mon contact avec ma collègue de travail s‘améliorait et en même temps avec beaucoup de boliviens.

L‘atmosphère était tellement bonne, avec mes colocataires et avec les autres volontaires qu‘on a passé des montants inoubliables ensembles, on était comme une petite famille.

Comme les derniers mois étaient vraiment intensifs, notre départ n‘était pas facile du tout.Il faut le voir comme épreuve, qu‘on s‘est vraiment intégré là-bas.

Je crois que pour moi, mon adieu à l‘école était vraiment un des moments les plus tristes de ma vie, mais en même temps aussi un des plus intensifs et beaux. Chaque élève a fait ses adieux de sa propre manière, les uns m‘ont embrassé plusieurs fois, les autres ne sont même pas venus. Les mères aussi me disaient un mot et à ce moment-là, je me sentais vraiment récompensée par mon travail. En allant à l‘aéroport, on pouvait vivre une dernière fois un problème typique bolivien: les blocades de rues. C‘était comme si le pays aussi voulait nous faire ses adieux.

En pensant maintenant à cette année, je suis vraiment très reconnaissante d‘avoir pu vivre une telle expérience. Je suis très reconnaissante envers les enfants. Grâce à eux, j‘ai pu passer des moments vraiment uniques et inoubliables. Mais je suis aussi reconnaissante envers mes parents, mon organisation et toutes les personnes qui m‘ont aidé lors de moments difficiles et ceux qui ont fait de cette année une année inoubliable. Je suis d‘avis, que cette année n‘est pas terminée, elle continue aussi au Luxembourg. J‘ai rapporté un tas de souvenirs et expériences qui font durer l‘année dans mes pensées et qui ont aussi influencé mes opinions et réactions.

Gracias a todos quien lo han hecho posible y inolvidable!

Anne Speltz

 

Los „Bloqueos“ bolivianos

Une spécialité bolivienne: La culture du syndicalisme et de la démocratie de base est très vivante en Bolivie et se traduit par des manifestations plutôt spontanées, parfois bien orchestrées dans un quartier de ville, dans une localité, une région et même le pays entier. Une des techniques les plus efficaces dans cette lutte populaire sont les barrages routiers. Installés à des endroits stratégiques du réseau routier ils sont capables de bloquer toute circulation aussi bien de marchandises que de passagers. En l’absence de réseau ferroviaire le camion et le bus sont les seuls moyens de transport (la majorité des Boliviens étant trop pauvres pour acheter une voiture). Les barrages de route suscitent ainsi le mécontentement et la colère de la population et augmentent la pression sur les dirigeants politiques.

Mais la nature aussi, si belle et exubérante en Bolivie, est capable de bloquer toute circulation terrestre. Surtout dans les régions moins développés, pauvres en infrastructures, comme le village de Chocaya, où travaille notre volontaire Anne Speltz actuellement. Elle nous reporte ses expériences dans le petit récit ci-dessous:

Le weekend de Carnaval s’annonçait avec quatre jours de congé et ainsi on avait planifié une excursion un peu plus longue, jusqu’à Tarija, pour profiter de ces « petites vacances ».

Malheureusement, pendant toute la semaine, des rumeurs circulaient que dans le pays entier étaient organisés des barrages routiers, empêchant de nombreux Boliviens de voyager. Ainsi j’ai vu que la famille, qui était venue de Potosi pour une visite chez des gens habitant à côté de l’école, a dû rester à Chocaya pendant toute la semaine comme il n’y avait pas de moyen pour eux de rentrer. De même les volontaires du Chili qui ont voulu nous ren-dre visite étaient bloquées à La Paz et ont finalement décidé de prendre l’avion pour pouvoir nous rejoindre.

Tout de même, moi je suis restée optimiste, et je me suis réjouie pour ce weekend…

Le vendredi aucun changement de la situation n’était en vue et j’ai commencé à réellement comprendre la gravité de la situation. Jamais auparavant, je n’ai vécu une situation dans laquelle le transport public a été contrecarré de telle manière. Notre premier plan de voyager à Tarija a donc vite été annulé. Mais comme c’était le weekend de Carnaval, ce qui est une fête assez importante en Bolivie, surtout à Oruro, j’ai envisagé l’alternative de visiter cette fête haute en couleurs. Je ne pouvais pas m‘imaginer que ces barrages seraient capables d’empêcher la célébration de Carnaval. De plus, le Carnaval d’Oruro est assez connu, et chaque année, des milliers de Boliviens s’y rendent. En plus cette fête est une source importante de revenus et je me suis dit que ce ne serait pas possible que ces bloqueos pourraient empêcher l’accès à la fête.

Le samedi, on s’est donc rendu au terminal du bus et on a dû constater qu’il n’y avait toujours pas de transport public. Lorsqu’on est réellement concerné, c’est un sentiment étrange de réaliser qu’on ne peut pas circuler librement. On se sent en quelque sorte emprisonné dans la ville. Persuadées qu’il devait quand même être possible de rejoindre Oruro, on a commencé à nous renseigner sur les alternatives.

Il y avait des taxis proposant le trajet Cochabamba-Oruro mais pour 250 Bolivianos (plus de 30 Euros) au lieu des 30 Bolivianos (4 Euros) qu’on aurait payé pour le bus. On a donc vite éliminé cette possibilité.

D’autres Boliviens nous renseignaient qu’on pouvait avancer jusqu’au bloqueo, le traverser à pied et continuer le voyage avec un autre bus. Comme on n’avait rien à perdre, on a décidé de tenter notre chance.

Peu à peu pourtant ma tension nerveuse augmentait, surtout à cause des nombreuses camionnettes chargées de policiers armés qui passaient. Apparemment ils possédaient aussi du gaz lacrymogène. De plus, je connais des images boliviennes qui montrent des combats entre policiers et civils. Ce sont des batailles sauvages et assez graves.

Avec un „trufi“, un taxi collectif, on a donc rejoint l’endroit où la route était bloquée. Tout semblait tranquille, on ne voyait que les camions qui empêchaient le passage, mais pas de combats, rien,… Il faut savoir que c’étaient les chauffeurs de camion qui avaient organisé les barrages parce qu’ils voulaient une baisse d’impôts. Sur les abords de la route, des femmes vendaient de la viande, des petits pains,…Tout était comme toujours. On a passé la file des camions sans problème et déjà je me sentais soulagée. Et comme prévenu, à la fin du bloqueo, il y avait des bus proposant le passage à Oruro. Mais des passants nous ont fait remarquer que le véritable bloqueo se trouvait plus loin.

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On ne pouvait pas le voir de l’endroit où on était, et les camions qui bloquaient le passage n’étaient que des camions qui ne pouvaient pas poursuivre leur route. De nouveau, j’ai commencé à sentir la gravité de la situation. Personne alors n’avait envie de traverser le bloqueo à pied, cela nous semblait vraiment trop risqué. Déses­pérées, on voulait rentrer, lorsqu’on nous disait que les grévistes allaient terminer le blocage de la route. Vite, on est monté dans un bus, mais celui-ci n’a pas avancé. Les gens ont discuté avec un policier, et lorsque je me suis renseignée sur le départ, le chauffeur m’a répondu avec un sourire: dans 10 minutes, peut-être 20 ou dans 3 ­heures. Après cette information, on a décidé définitivement de retourner à la maison.

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Même si on a raté la fête du Carnaval à Oruro, je suis certaine que cette expérience a valu la peine. Jamais auparavant, je n’ai pu vivre un tel sentiment d’enfermement. Dans notre cas, on avait encore de la chance, comme on n’avait pas de rendez-vous ou de ticket réservé quelque part, donc rien ne s’est passé, mais on voit quelle chance on a en Europe. A tout moment, on peut rejoindre tout endroit et s’il y a une grève de train, il y a toujours d’autres moyens pour rejoindre la destination. Mais ici, quand il y a un bloqueo, rien ne va plus. Pas moyen d’entrer ni de sortir de la cité, le droit de circuler librement est en quelque sorte restreint.

Les quatre jours de vacances terminés, j’ai de nouveau commencé à travailler. Le paysage que je traverse chaque fois en me rendant au travail est vraiment merveilleux, et en plus ce jour-là, j’étais vraiment excitée de voir les changements dont tout le monde m’avait parlé en long et en large, car la saison de pluie avait juste commencé. Le village de Bella Vista où j’habite et celui de Chocaya où je travaille sont séparés par une rivière, pas très large vraiment, plutôt un ruisseau, mais par temps de pluie celui-ci est tellement large et puis­sant, qu’on ne peut pas le traverser à pied. Alors il faut emprun­­ter le pont de fortune formé par deux troncs d’arbres et quelques planches.

dsc_0172-2Au début, ceci m’effrayait un peu, car le pont est vraiment étroit et se situe à 10 mètres au-dessus de l’eau. Mais très vite, ce passage journalier s’est transformé pour moi en petite aventure…

Quelques jours après, ma „tia“, la femme avec laquelle je travaille, m’a raconté qu‘on ne pouvait plus utiliser ce passage. Pendant la nuit, les deux troncs ont été emportés par la crue. Il existe un pont qu’on peut même traverser en voiture, mais beaucoup plus bas au village. Les gens ne peuvent donc pas circuler entre les deux villages comme ils ont l’habitude. Ceci leur rend la vie encore plus dure, aussi aux enfants qui doivent aller à l’école.

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Le problème du pont emporté par les flots s’est vite résolu, les villageois l’ont remplacé par deux autres troncs. Mais cette situation m’a vraiment impres­sionnée. Ici, la nature peut simplement changer la vie quotidienne des gens d’un jour à l’autre. On ne sait pas si on peut rejoindre son travail, vendre ses produits au marché… Chez nous en Europe tout est bétonné, la nature est apprivoisée et une telle situation arrive rarement. Mais d’un autre côté notre vie est toujours la même, sans changements importants et en même temps un peu … ennuyeuse.

Pour moi, la saison des pluies a fait en sorte que je ne peux plus aller tous les jours à Chocaya, le passage étant trop dangereux quand il pleut. Je travaille alors dans l’autre établissement. Et il y a aussi moins d’enfants qui viennent à l’école.

texte et photos: Anne Speltz