Du 12 au 16 novembre 2017 notre collaboratrice indépendante Kim Nommesch séjournait à Temuco au Chili pour le suivi de notre projet „Renforcement de six organisations communautaires mapuche et de leur sécurité alimentaire dans la commune de Vilcún 2016-2019“ avec notre partenaire local FUNDECAM. Voici ses impressions et son évaluation du projet et de la situation actuelle en territoire mapuche.
Vers la fin de l’année passée, FUNDECAM (Fondation pour le développement des petits paysans) a initié un nouveau projet avec le soutien de Niños de la Tierra (NITI) – et donc avec votre soutien! Notre partenaire FUNDECAM s’est engagé depuis de nombreuses années en faveur des petits paysans mapuche qui vivent en milieu rural.
Aujourd’hui, 10% de la population du Chili s’identifie comme indigène, le plus grand groupe étant les personnes d’origine mapuche. La majorité vit en ville, mais environ 30% vivent dans les zones rurales dans des conditions de vie difficiles. Les responsables politiques aiment souligner que le Chili est aujourd’hui un pays « riche » et sont fiers d’être Etat membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Mais le succès économique n’atteint qu’une partie très minoritaire des habitants – le niveau d’inégalité des revenus reste un des plus élevés au monde.
Depuis la fin de la dictature, le gouvernement a introduit des mesures diverses destinées aux personnes indigènes telles que des bourses d’études ou des dispositions pour faciliter la récupération de leurs terres. Or, l’accès à ces aides est difficile, en raison des obstacles du système bureaucratique, du manque d’information des groupes cibles mais aussi en raison des attitudes racistes persistantes à l’encontre des personnes d’identité mapuche.
Un meilleur avenir à travers l’autonomisation et la cohésion sociale
Les efforts conjoints de FUNDECAM et de NITI ont pour objectif d’offrir de nouvelles perspectives aux membres des communautés. Il s’agit de favoriser l’autonomie des bénéficiaires en facilitant l´accès à l’information et en renforçant les compétences sociales et productives. Le projet se déroule dans six communautés de la municipalité de Vilcún (au Sud, près de Temuco). Lors de réunions et d’ateliers réguliers, les responsables de FUNDECAM discutent avec les membres de la communauté sur leurs droits en tant qu’indigènes, sur les défis personnels et structurels des bénéficiaires ainsi que sur les pratiques culturelles, les traditions culinaires et les méthodes de production traditionnelles qu’il s’agit de raviver et de conserver. Les sujets de discussion sont définis de manière participative: les connaissances sont acquises et les lignes de conduite sont mises au point grâce au dialogue.
Complémentairement, FUNDECAM a introduit un fond de roulement: des micro-crédits sont alloués aux bénéficiaires sur demande pour réaliser des investissements qui leur permettent d’assurer la sécurité alimentaire et d’augmenter leurs revenus. Ces crédits sont remboursables à moitié. Les montants sont investis par exemple dans l’achat de bétail, la mise en place d’enclos ou l’achat d’outils, tels qu’une machine à coudre. À côté de l’effet économique, un effet social se produit aussi: les bénéficiaires se réunissent plus régulièrement (ce qui est malheureusement de moins en moins le cas dans les communautés) et discutent pour décider en commun des modalités de gestion du fonds et son administration.
Avec l’aide de FUNDECAM, ils renforcent de cette manière leurs capacités de gestion puisqu’il faut comparer les prix pour trouver la meilleure offre, réaliser l’achat, demander des factures etc. Une ou plusieurs personnes sont chargées de réunir les sommes remboursées et de mettre l’argent sur un compte bancaire pour assurer la transparence du processus. Souvent, les bénéficiaires hésitent à faire des démarches officielles, en raison des attitudes racistes auxquelles ils sont confrontés. Ainsi, certains d’entre eux sont entrés pour la première fois dans une banque et cette expérience a créé un effet multiplicateur positif : une prochaine fois ils hésiteront moins et se sentiront plus à l’aise en face des employés.
Rencontres sur le terrain
Sur demande de NITI, j’ai rencontré deux communautés lors de la visite de suivi à savoir „Juan Ancamil“ et „Juan Segundo Mariluan“. La première est dirigée par une femme très engagée, la deuxième par un dirigeant qui exerce sa fonction depuis de nombreuses années. Dans cette dernière, ainsi que dans les autres communautés du projet l´accès à l´eau constitue un problème majeur. Quand le printemps s’annonce, les réserves d’eau s’épuisent et les habitants dépendent de la municipalité qui fournit en camion-citerne 500 litres d’eau par semaine et par ménage.
Dans toutes les communautés le nombre de femmes qui participent aux réunions est significativement plus élevé que celui des hommes. Ceci s’explique par le fait que les hommes partent au nord du pays pour y gagner de l’argent en tant que travailleurs saisonniers par exemple dans les plantations de fruits.
L’accès à la terre est le sujet prédominant dans toutes les discussions, indépendamment de la communauté. À la fin du 19e siècle, l’Etat chilien a en effet pris possession de vastes régions du territoire ancestral des indigènes. Les terrains ont été attribués à des colons majoritairement d’origine européenne, surtout à des allemands et des suisses. Le
peuple mapuche a continué la lutte pour récupérer ses terres jusqu’à ce jour. La discussion sur la relation avec les populations indigènes envenime toujours le pays.
Les différentes options pour aborder la cause mapuche a aussi créé des controverses dans les débats sur les élections présidentielles (le premier tour a eu lieu le 19 novembre)Dans ces conditions, FUNDECAM s’efforce à renforcer les connaissances sur les droits et les devoirs des personnes d’identité mapuche, le fonctionnement des institutions, surtout. Parallèlement, la fondation souligne le passé, l’histoire du peuple mapuche, son identité et ses pratiques traditionnelles, surtout les méthodes qui se sont avérées durables pour améliorer la production agricole.
En effet, dans un contexte d’oppression de longue date et aux visages multiples, il faut comprendre qu’il ne suffit guère d’introduire de nouveaux subsides et de nouvelles procédures administratives (et bureaucratiques). Pour améliorer les conditions de vie, renforcer la cohésion sociale et créer plus de justice au niveau de l’accès aux terres, il faut prendre en considération le côté culturel et historique, il faut améliorer les compétences sociales et l’information sur les droits, tout cela pour stimuler une transformation sociale et économique durable.
Kim Nommesch
photos: Kim Nommesch