Réflexions sur les résultats et les défis à court terme
Par ANAWIN notre partenaire à Cochabamba, octobre 2025
Le 19 octobre 2025 marquera un tournant dans la vie politique bolivienne. Au second tour de la présidentielle, Rodrigo Paz Pereira, candidat du Parti démocrate-chrétien (PDC), a battu Jorge « Tuto » Quiroga avec une marge de près de 9,5 %, selon les premiers décomptes de l’Organisme électoral plurinational. Ce résultat met fin à près de deux décennies d’hégémonie du Mouvement vers le socialisme (MAS) et ouvre une nouvelle ère politique, porteuse d’espoirs et de défis à court et moyen terme.
Élections boliviennes de 2025 : Proportion de votes obtenus par parti politique aux élections générales
Note : Données préliminaires à 97,86 % issues du Système de transmission et de publication des résultats préliminaires (SIREPRE). Consulté le 20 octobre 2025 à 11 h 45. Disponible à l’adresse : https://sirepre.oep.org.bo/national/
Le déroulement du second tour peut être interprété de deux manières : d’une part, il y a un rejet explicite du cycle politique précédent, matérialisé par la chute spectaculaire du MAS ; d’autre part, la victoire de Paz ne traduit pas nécessairement un glissement vers l’extrême droite, mais plutôt le triomphe d’une candidature qui a su allier des propositions économiques plus pragmatiques à un discours d’engagement social. De nombreux électeurs ruraux et urbains, lassés par la crise économique (inflation, pénuries et perte du pouvoir d’achat des Boliviens), ont cherché une alternative promettant un ordre budgétaire sans démanteler les programmes sociaux ; c’est dans ce contexte qu’est né le discours du « capitalisme pour tous » qui a accompagné la campagne de Paz.
La victoire du PDC au second tour renforce l’idée que les citoyens souhaitaient des propositions combinant redistribution et protection sociale, avec des solutions moins alignées sur les recommandations traditionnelles du Fonds monétaire international (FMI) face à la crise économique. Parallèlement, l’élection a confirmé la préférence pour les candidats capables d’interpréter la demande de protection sociale et de proximité avec la population. De nombreux discours et interventions publiques durant la campagne ont souligné que Paz était « plus proche du peuple ». Son style rhétorique faisait appel aux identités locales, formulait des promesses concrètes pour les régions touchées par la crise et communiquait avec un style évitant les formalités administratives. Cette stratégie a porté ses fruits : les secteurs traditionnellement sensibles aux messages de protection sociale (agriculteurs, travailleurs informels, retraités) ont perçu Paz comme quelqu’un qui ne promettait pas de ruptures traumatisantes, mais plutôt des solutions pragmatiques à visage humain. Cette impression de proximité a sans aucun doute été un facteur clé lors du second tour.
Il est important de noter que le PDC a remporté six des neuf départements où le MAS d’Evo Morales avait été le grand vainqueur ces vingt dernières années : la région andine, peuplée principalement de populations d’origine quechua et aymara. L’Alliance libre a largement gagné dans la région orientale, dont l’épicentre est Santa Cruz, le département le plus prospère grâce à l’agro-industrie, moteur de l’économie bolivienne.
Les principaux défis auxquels le nouveau gouvernement sera confronté concernent la gouvernabilité et l’économie. Premièrement, la gouvernabilité : bien que le PDC ait obtenu une représentation significative au Congrès, il lui manque la majorité absolue qui lui permettrait d’approuver des réformes profondes sans pactes. Cela nécessite une politique d’accords, de négociations et de larges coalitions, dans un contexte de fragmentation du pouvoir législatif et de polarisation et de méfiance persistantes entre les forces. Deuxièmement, l’économie : la reconstitution des réserves, la gestion de l’inflation et la pénurie de devises et de carburant nécessiteront des mesures techniques complexes et un consensus.
De même, il ne faut pas perdre de vue le calendrier électoral ; en 2026, la Bolivie organisera des élections infranationales (gouvernements autonomes départementaux et municipaux), qui constitueront le premier test électoral majeur de la nouvelle carte politique. Ces élections permettront de déterminer si le changement du système partisan, impulsé par la prédominance de nouvelles forces politiques, se consolide ou si des forces politiques comme le Mouvement vers le socialisme (MAS) conservent une certaine influence. La victoire de Rodrigo Paz et du PDC au second tour peut être interprétée comme le résultat d’une demande citoyenne exprimant un rejet de la poursuite du cycle précédent, une recherche de solutions concrètes à la crise et une préférence pour des discours de proximité sociale. Parallèlement, elle ouvre une période où la capacité à gouverner dépendra de sa capacité à conclure des accords et à répondre aux besoins immédiats.
Cochabamba, le 20 octobre 2025