Depuis la mi-2023, la Bolivie traverse une situation économique, politique et sociale complexe. L’économie bolivienne montre des signes de détérioration. Les réserves internationales nettes restent inférieures à 3 milliards de dollars, ce qui génère une instabilité des taux de change et des problèmes d’importation d’essence et de diesel pour la consommation intérieure.
La situation économique complexe a provoqué une instabilité des taux de change qui érode directement le pouvoir d’achat des familles à faible revenu, rendant de plus en plus difficile le maintien du niveau de vie des familles indigènes en raison de l’augmentation continue des prix. L’inflation cumulée de plus de 20 % (!!) depuis le début de la crise a entraîné de réelles difficultés d’accès aux produits de base. Ainsi, la situation sociale en Bolivie est très tendue. Au cours du premier trimestre 2025, 201 conflits ont été enregistrés. La plupart de ces conflits étaient liés à des protestations contre la hausse des prix des denrées alimentaires et à des questions politiques.
Malgré tous ces problèmes, les Boliviens forment une société profondément résiliente et adaptable. Cette résilience ne doit pas être interprétée comme une résignation, mais comme l’expression authentique de la vitalité et de la détermination du peuple bolivien à surmonter les obstacles. Ceci peut aussi expliquer en partie les résultats des élections…
C’est dans ce contexte que nous avons demandé à notre partenaire bolivien de longue date, ANAWIN, à faire le point après les élections d’août 2025. Voici donc ce que nos amis nous ont écrit à ce sujet :
Élections en Bolivie 2025 : Brève analyse des résultats
Le 17 août 2025 ont eu lieu les élections générales en Bolivie, au cours desquelles les Boliviens ont élu le nouveau gouvernement (Président et Vice-président) ainsi que les membres de l’Assemblée législative pour les cinq prochaines années. L’élection des députés et des sénateurs s’est faite en un tour. Cependant, l’élection du Président et du Vice-président se fait en deux tours électoraux, aucun candidat n’ayant atteint la majorité électorale absolue requise. Les candidats qualifiés pour le second tour sont Rodrigo Paz Pereira, du Parti Démocrate-Chrétien (PDC), et Jorge « Tuto » Quiroga Ramírez, de l’Alliance Liberté et Démocratie (LIBRE), qui ont obtenu respectivement la première et la deuxième place.
Élections Bolivie 2025 : Proportion des votes obtenus par parti politique lors des élections générales
Note. Données préliminaires à 95.41 % du Système de Transmission et de Publication des Résultats Préliminaires (SIREPRE). Date de consultation (18/08/2025 à 09h45). Disponible sur :https://sirepre.oep.org.bo/national/
La victoire du PDC (centre-droite) au premier tour a été, pour le moins, surprenante, puisqu’elle a écarté des candidats de droite qui semblaient bénéficier d’un plus grand soutien selon de nombreux sondages. Bien que la majorité des partis politiques aient présenté des propositions orientées vers la droite et des mesures économiques alignées sur le Fonds Monétaire International (FMI), seul le candidat de LIBRE a réussi (parmi ces parties de droite-libérale) à accéder au second tour, se plaçant en deuxième position.
Les résultats des élections peuvent indiquer que le peuple bolivien ne souhaite pas un changement radical de l’orientation politique et économique du pays vers une ligne libérale. La majorité des électeurs semble avoir rejeté les politiques de privatisation et d’ouverture économique sans restriction, préférant des discours axés sur la redistribution des ressources, le renforcement de l’État et la protection des secteurs vulnérables.
En ce sens, la première position du PDC reflète un phénomène intéressant : l’électorat a montré une préférence de propositions à composante plus sociale et communautaire, même si celles-ci ne se présentent pas sous l’étiquette traditionnelle de « gauche » et relèvent davantage d’une position de « centre ». Le candidat Rodrigo Paz Pereira a su se positionner comme une figure proche du peuple, avec un discours qui a mis en avant des valeurs identitaires et s’est distancé du technocratisme économique qui a caractérisé d’autres postulants.
D’autre part, le populisme reste un élément clé de la politique bolivienne. Les campagnes les plus efficaces ont été celles qui ont fait appel à l’identité culturelle, à la récupération de la souveraineté nationale et à la promesse d’un gouvernement à l’écoute du peuple. Bien que ces stratégies ne soient pas nouvelles, les résultats montrent que la narration populiste conserve un poids significatif, notamment dans des contextes de mécontentement économique et de crise de représentation.
Le fait qu’un seul candidat libéral, Jorge « Tuto » Quiroga, ait accédé au second tour – et en deuxième position – indique que, même s’il existe une base de soutien aux propositions orientées vers le libre marché, celle-ci n’atteint pas une ampleur suffisante pour s’imposer dans l’électorat bolivien. En vue du second tour, la confrontation se jouera entre deux modèles : l’un qui cherche à équilibrer économie de marché et inclusion sociale, et l’autre qui représente le retour à des politiques plus orthodoxes et libérales.
Un autre signe du mécontentement et de la méfiance des boliviens face à l’offre politique massive de droite est le pourcentage élevé de votes nuls, qui a atteint 19,29 %. Le fait que près d’un électeur sur cinq ait choisi de voter « nul », peut être interprété comme un rejet explicite des propositions et candidatures en compétition, ainsi qu’un signe de fatigue démocratique face à la polarisation et au manque d’alternatives prenant au sérieux les véritables revendications de la population. Ce phénomène pose un défi profond pour la légitimité du processus électoral et, surtout, pour les partis, qui devront repenser leurs stratégies et leurs discours s’ils veulent se reconnecter avec un électorat de plus en plus critique et exigeant.
Un message important de ces élections est la fin abrupte du mandat du Mouvement vers le Socialisme (MAS – parti du président actuel Arce et auparavant de l’ex-président Morales), qui n’a obtenu que 3,2 % des voix au niveau national. Ce résultat représente non seulement une chute historique de son soutien électoral, mais le prive également de représentation à l’Assemblée législative, un scénario impensable il y a seulement quelques années. La perte accélérée d’influence du MAS met en évidence une profonde usure de sa structure politique, incapable de renouveler ses leaderships ni d’offrir un projet en phase avec les nouvelles demandes sociales, ce qui signifie la fin d’une étape importante qui a marqué la politique bolivienne pendant bien plus d’une décennie.
Ce qui est clair, c’est que l’élection du 17 août marque un tournant dans la politique bolivienne. Le peuple s’est exprimé, et il l’a fait en exigeant des propositions plus proches de la réalité quotidienne, moins technocratiques et plus engagées envers la justice sociale.
Texte rédigé par ANAWIN et adapté par Jean-Paul Hammerel